Les entrepreneurs québécois que je rencontre au quotidien sont dans une optique collectiviste* et ils sont peu enclins à attaquer et même se défendre de la compétition. De rares cas d’autodéfense sont attaqués publiquement sur les médias sociaux et traditionnels tandis que quelques cas d’attaques sont reprises en boucle par les médias dits « radios poubelles » ou « journaux jaunes » de sorte à créer un tourbillon médiatique relativement prévisible et pathétique.
La société canadienne française (québécoise) dite « collectiviste »
D’abord, il importe de situer le rapport des individus québécois entre eux avant de parler de leur rapport avec la compétition. Selon le rapport d’étude « Étude comparative des messages publicitaires télévisés canadiens » (ACFAS, 2010):
(…) nous pourrions conclure que les publicités canadiennes francophones véhiculent généralement des valeurs plus collectivistes que les publicités canadiennes anglophones (…)
Le documentaire L’empreinte (Poliquin et Dubuc, 2015) explique que le Québécois d’antan, alors nommé « Canadien », qui est en réalité un colonisateur au départ, un colon, s’aventure d’abord à créer des relations avec les premières nations. L’entente de départ, c’est le mariage entre les colons et les premières nations. Le mariage. Pas l’attaque. Pas la Conquête, au sens Anglais du terme.
Le colon Canadien français entre en relation avec les nations autochtones. Il est aussi accueilli comme père de famille dans la tribu des Algounquins qui habite du côté Sud du Fleuve Saint-Laurent.
Le colon d’alors est souvent dépeint comme un coureur des bois doté de grandes habiletés en communication et en survie. Je dirais même qu’il est un vendeur habile, capable de troc et d’échanges qui lui profitent. Le colon Canadien français fait du commerce de la fourrure et il apprend des Amérindiens à survivre durant les temps durs de l’hiver.
Je ne pense pas révolutionner l’Histoire du Québec avec le petit résumé que je viens de faire. C’est ce qui est enseigné dans les écoles (quand l’Histoire du Québec est enseignée).
Le Canadien français se développe, mais il est aussi colonisé par l’Anglais, lui aussi colonisateur. Aux dires de l’indépendantiste Pierre Falardeau :
Le Québec est un peuple annexé par la force.
La Déportation des Acadiens fait peur. Le Canadien français semble alors craindre pour sa propre survie. De nombreux échanges sont observés avec les États-Unis avec qui le Québec semble entretenir des relations diplomatiques traditionnelles. Encore ici, je ne suis pas un expert de la question…
Frustré dans son élan, le Québec se cherche à travers différentes mobilisations sociales, puis il découvre son épanouissement à travers la religion catholique avant de s’en défaire lors de la Révolution Tranquille de la décennie 1960. Notez que l’expression « Révolution tranquille » est bien choisie. Le Québec fait la révolution dans la tranquillité. Quel paradoxe! Durant se temps, il défriche, il travaille sous la gouverne de l’industriel anglais, et il parle toujours son français d’origine qu’il défend finalement avec la loi 101.
Excusez ces sauts rapides, mais l’objet de ce billet n’est pas de raconter l’Histoire dans ses détails…
Une identité québécoise fracturée
Le Québécois se nomme ensuite lui-même dans une sorte de quête d’émancipation, puis il se déchire lors des Référendums testant sa condition de « province* ». Il rejette la religion catholique oppressive. Il se confronte à sa propre définition en développant une poésie, une langue et une musique qui lui est propre. La chanson québécoise se développe éventuellement en une sorte de petit stardom. Il faudrait aussi parler des films du cinéma direct et l’importance, à mon point de vue, de la pièce de théâtre Les Belles Soeurs de Michel Tremblay, qui est un tournant culturel.
Le joual reste marqué par l’oppression catholique. Le Québécois moyen utilise le sacre et il dit: « criss » (Christ), « hostie », « ciboire », « câlisse » (calice) et « tabarnak » (tabernacle) au quotidien.
Le Québécois défricheur d’antan qu’on nommait « l’habitant » porte en lui toutes ces couches historiques une fois bien installé sur ses terres qui appartiennent paradoxalement à l’adversaire Anglais. Au fur et à mesure, les tensions se font, se défont et se refont dans l’ensemble canadien.
À mon œil, le Québécois est un être fracturé et attaqué par la peur fondamentale du déracinement. Il y a, chez le Québécois, un complexe inconscient d’enracinement/déracinement paradoxal. Pour en savoir plus, demandez à voir ma conférence « Vendre au Québec: Comprendre l’inconscient collectif québécois » sur SlideShare.
Je souligne le fait que le Canada est « sans histoire », au sens familier du terme qui veut dire que les canadiens sont des gens en construction identitaire, sans grand historique de conflits. Le Canadien a la réputation de dire toujours « désolé » (« sorry »). Les Québécois actuels me semblent exagérément chaleureux et consensuels si on les compare à leurs ancêtres Français d’origine dont le verbe aiguisé reste toujours la signature. En effet, les Français qu’on me dépeint dans les cours d’Histoire sont des communicateurs de grands talents qui maîtrisent l’art de la tromperie, de la séduction et de la ruse. Prenons Voltaire comme figure.
Le Québécois se fait traiter de « mangeur de hot dogs » ou de « frog ». Le peuple du Québec se fait « entrer dans la gorge » une Constitution qu’il n’a pas signé. Ils se font « rouler dans la farine »…
Je conclus cette parenthèse en situant le Québécois actuel face à son rapport tordu à la sexualité et à la morale qui lui provient de la religion catholique. Je note que le Québec actuel est à la fois moralisateur et dévergondé. Le Québec est à la recherche de ses vraies valeurs d’après Denise Bombardier en réponse au trou laissé par l’absence du religieux dans l’espace public.
Un exemple concret de mollesse: L’industrie du taxi contre UBER
Je prends pour exemple concret du « Québec mou face à la compétition » la défense des taxis contre l’entreprise UBER dont on entend dans les médias qu’elle serait « illégale » au Québec. À propos, j’ai vu un extrait de la diffusion des travaux de la Coline Parlementaire de 2015, lors desquels la politicienne du Parti québécois Martine Ouellet s’est attaquée à la position gouvernementale du Parti libéral du Québec face au dossier UBER-X. Comme elle connait mieux le dossier UBER que moi, je vais vous laisser l’entendre parler:
Martine Ouellet : UberX persiste à offrir des services illégaux (intégral)
Depuis cette confrontation, l’industrie du taxi se mobilise avec mollesse contre l’application UBER. Elle ne manifeste que très doucement sa colère. Il y a quelques cas de conflits directs entre chauffeurs de taxi avec licence et chauffeurs UBER. Mais soyons honnêtes: le conflit ne lève pas du tout. La mobilisation est très molle. Les deux camps s’opposent dans l’harmonie.
La réaction compétitive est anémique. Il n’y a pas de réelle innovation. On a développé une petite application par ici. On a lancé un ordre de mieux s’habiller par là. Merci, Monsieur Denis Coderre! Maintenant, on peut prendre le taxi montréalais et ça ne sent pas mauvais. Il était temps. On prend le taxi à Montréal et les chauffeurs acceptent les cartes de crédits.
Mais voyons! UBER casse la baraque avec son service ultra-compétitif et avantageux pour le client. Réagissez!
La seule réaction reste la gentille TÉO TAXI, dont les publicités créatives apparaissent au dos du magazine Voir. Je ne peux malheureusement pas vous présenter ces publicités. Je vais simplement les qualifier de « sympathiques », « créatives » et « bon enfant ». On est à l’opposé du rentre-dedans et du coup de poing. Les Québécois n’aimeraient pas ça de toute manière…
Même les attaques via les médias traditionnelles sont plates. Vous en doutez? Allez voir l’émission de Tout le monde en parle du 14 février 2016 « TAXI VS UBER ». Je capotais dans mon salon à voir la grande maîtrise du porte-parole d’UBER, Jean-Nicolas Guillemette, face à l’improvisation de son adversaire qui manquait de toute évidence, du moins lors du montage finale, d’arguments à offrir aux consommateurs de transport en taxi. Réécoutez l’entrevue et prenez note de l’excellent, je veux dire génial, moment lors duquel Guillemette utilise l’expression « cocktail transport », probablement trouvée en focus group lors d’une opération de recherche en relation publique.
Des PMEs mal équipées dans une société molle
Mais les entreprises de taxis et les chauffeurs de taxis ne sont pas les seuls à manquer de force dans leurs rapports avec la compétition. Les PMEs du Québec souffrent et elles peinent à trouver de la force de travail qualifiée et de la main d’oeuvre pour reprendre l’entreprise familiale. Le Québec vieillit. Il manque de relève entrepreneuriale au Québec.
Les travailleurs de la Côte Nord sont tellement à court de moyens qu’ils intimident les constructeurs. Lorsqu’on les écoute, on les rabaisse dans le silence ensuite. Encore une fois: le rapport de force est tordu et miné.
Et ce n’est pas tout… Selon les rumeurs dans mon quartier, les employeurs ont de la difficulté à trouver des gens pour se lever le matin et aller travailler à l’heure. J’habite le quartier St-Roch de la ville de Québec.
La Fédération canadienne de l’entreprise indépendante (FCEI) rappelle à chaque année la pile de paperasse qui pèse sur le dos des petites et moyennes entreprises du Québec. Il faut préciser que tous, nous avons deux rapports d’impôts à remplir au lieu d’un chaque année.
On pourrait se rappeler du scandale des commandites, de la récente Commission Charbonneau, etc. Ça ne lève pas. La compétition s’autodétruit dans l’espace public. (Je ne veux pas dire que les gens ne font pas bien leur travail, je dis simplement que les Québécois n’aiment pas la chicane dans l’espace public.)
La Charte des valeurs québécoise n’a jamais autant divisée le Québec sur la question identitaire… On parlait pourtant d’un enjeu de société fondamental (la séparation du religieux et du politique), mais le débat était inconcevable parce que les Québécois n’aiment pas débattre. Ils aiment le consensus mou.
La masse critique se définit probablement en ce moment comme étant « de centre mou ». Ni à droite, ni à gauche politiquement. Sans débat sur la question même de débattre. On est sur le bord de la censure, mais pas vraiment. On est sur le bord de l’émancipation par la liberté d’expression, mais pas vraiment…
C’est tellement mou que même ceux qui disent que c’est mou ne se font pas traiter de faire du Quebec bashing.
On pourrait écrire un livre complet sur le rapport de force mou des syndicats québécois avec le patronat, rapport qui nuit possiblement au final au pauvre travailleur du peuple*.
On n’a pas le droit de critiquer un adversaire commercial
La faiblesse des attaques… Le vide opérationnel et tactique.
C’est comme si l’idée de mettre en doute un concurrent dans l’univers virtuel était aussi interdit que dans l’univers réel.
Apprendre à se défendre
Je milite pour que les entrepreneurs québécois apprennent à mieux se défendre. C’est ce que j’enseigne lors de mes consultations et ateliers de conférences. Il faut tenir le fort. Il faut résister à l’oppresseur. Batinse!
GLOSSAIRE (*)
Collectiviste (définition selon le dictionnaire Larousse):
Relatif au collectivisme ; partisan de ce système.
Collectivisme (définition selon le dictionnaire Larousse):
Système économique fondé sur la propriété collective des moyens de production à l’échelle locale, régionale, nationale ou mondiale.
Peuple (définition selon le dictionnaire Larousse):
Qui est populaire, commun, vulgaire : Ça fait peuple.
Province (étymologie selon le Wikitionary):
Pays conquis assujetti aux lois du conquérant et administré par un gouverneur.
SOURCES
Valeurs véhiculées par la publicité (L’Empreinte – Télé-Québec, 2016)
« Étude comparative des messages publicitaires télévisés canadiens » (ACFAS, 2010)
Alain Deneault – Portrait du Québécois en colon
Denise Bombardier, sociologue et chroniqueuse, entendue à la radio de Radio X – CHOIX 98,1 – Québec (source introuvable)
Histoire du Québec (Gilles Carle, 19??), via Patriote17 sur Youtube