Safia Nolin (Révélation ADISQ 2016) et l’objectivation

Suite au Gala de l’ADISQ 2016, la « Rélévation de l’année » Safia Nolin a fait beaucoup jaser d’elle sur les réseaux sociaux et dans les médias de masse en raison de son look et de sa manière de livrer ses remerciements. Disons que Safia Nolin a réussi à provoquer toutes les matantes de ce monde avec son chandail de Gerry Boulet, sa veste grise, son jeans et ses sacres.

Qu’on le veuille ou non, les femmes se font encore juger sévèrement en raison de leur look et ce n’est pas demain que cela va changer. Le phénomène par lequel une jeune femme en vient à se considérer comme un objet qui doit attirer les regards des hommes (et l’approbation des femelles dominantes de la tribu) est nommé « objectivation ». L’objectivation est un paradigme (une manière de concevoir le monde) qui s’exerce souvent de manière inconsciente et qui, à l’extrême, peut engendrer un rapport complexe et angoissé avec son image personnelle. À la limite, ça peut encourager l’anorexie et la boulimie, deux formes de rejet de son développement en rapport avec le changement du corps à l’adolescence.

Les comportements typiquement féminins sont encouragés par l’entourage de la fillette dès la naissance. Tout au long de son développement, la petite fille en vient à intégrer des notions de savoir-vivre et de savoir-être qui sont celles de sa communauté. Ce processus de féminisation de la petite fille s’acquiert de manière progressive tout au long de l’enfance et de l’adolescence en fonction de critères arbitraires comme par exemple ce dictat qui dit qu’une femme ne doit pas sortir de la maison sans être maquillée.

Les magazines de mode féminine utilisent machiavéliquement cette manière inconsciente qu’on les femmes de se percevoir en rapport avec la mode de manière à alimenter le dialogue intérieur que les individus entretiennent avec eux-mêmes. Ce qui est pervers dans tout cela, c’est que la mode est par définition éphémère. Il faut donc toujours acheter le magazine pour rester à la hauteur du standard inventé par les designers de mode, l’industrie et les critiques…

Le langage développé par l’industrie du paraître invite la femme moderne à adopter un stéréotype que certains ont nommé « la femme au phallus » ou « femme-phallus », terminologie de psychanalyste que je trouve aberrante, et qui signifie que la femme se mettrait à porter sur son apparence des objets phalliques (pointus, allongés) comme pour s’approprier le phallus. Par exemple, on représente la femme très mince au corps allongé, avec des ongles longs et pointus, et portant des talons-hauts. Cette femme porte un complet masculin transformé pour être inclut dans le physique féminin. La femme est représentée mince et allongée, avec un sac-à-main griffé et du maquillage pour la rendre sexy. Les magazines de mode sont remplis de ce personnage de femme alien au corps impossible à atteindre, ce corps qu’au Québec on appelle en joual « la pitoune » ou « la chick ».

C’est dans ce contexte qu’arrive la magnifique Safia Nolin, une femme qui ne cadre pas dans le modèle « féminin » stéréotypé. Une femme, et ce n’est pas mineur, qui chante mieux que celles qui la critiquent. Safia Nolin met en péril la conception qu’ont les matantes de ce que doit être une femme. Dans cette position antithétique face au discours ambiant, Safia Nolin devient le symbole d’une femme affranchie, libérée du carcan médiatique, qui remet à sa place toute une gamme de femmes plus ou moins prisonnières de leurs propre manière de concevoir la féminité.

Non seulement Safia Nolin ne respecte pas le cadre du gala, mais elle chante mieux que la majorité du public qui la regarde. Cette image de marque complexe qui va la suivre encore longtemps la représente comme une sorte de personnage rebelle dans le paysage du stardom québécois.

À bien des points de vue, Safia Nolin (le personnage médiatique) est une bizarrerie qui permet une réflexion sur le climat du stardom québécois. D’une certaine manière, c’est une improbabilité qui nous fait sentir mal à l’aise sans trop savoir pourquoi, comme si un électron libre s’était mis à troubler le consensus.

Cliquez ici pour voir le look de Safia Nolin au Gala ADISQ 2016.

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